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LES ROUGON-MACQUART.

Mouret ne parut pas comprendre tout de suite. Mais, lorsqu’il se fut rappelé leurs conversations anciennes sur la bêtise vide et l’inutile torture de la vie, il répondit :

— Sans doute, jamais je n’ai tant vécu… Ah ! mon vieux, ne te moque pas, ce sont les heures les plus courtes, celles où l’on meurt de souffrance !

Il baissa la voix, il continua gaiement, sous ses larmes mal essuyées :

— Oui, tu sais tout, n’est-ce pas ? elles viennent, à elles deux, de me hacher le cœur. Mais c’est encore bon, vois-tu, presque aussi bon que des caresses, les blessures qu’elles font… Je suis brisé, je n’en peux plus ; n’importe, tu ne saurais croire combien j’aime la vie !… Oh ! je finirai par l’avoir, cette enfant qui ne veut pas !

Vallagnosc dit simplement :

— Et après ?

— Après ?… Tiens ! je l’aurai ! N’est-ce point assez ?… Si tu te crois fort, parce que tu refuses d’être bête et de souffrir ! Tu n’es qu’une dupe, pas davantage !… Tâche donc d’en désirer une et de la tenir enfin : cela paye en une minute toutes les misères.

Mais Vallagnosc exagérait son pessimisme. À quoi bon tant travailler, puisque l’argent ne donnait pas tout ? C’était lui qui aurait fermé boutique et qui se serait allongé sur le dos, pour ne plus remuer un doigt, le jour où il aurait reconnu qu’avec des millions on ne pouvait même pas acheter la femme désirée ! Mouret, en l’écoutant, devenait grave. Puis, il repartit violemment, il croyait à la toute-puissance de sa volonté.

— Je la veux, je l’aurai !… Et si elle m’échappe, tu verras quelle machine je bâtirai pour me guérir. Ce sera superbe quand même… Tu n’entends pas cette langue, mon vieux : autrement, tu saurais que l’action contient en elle sa récompense. Agir, créer, se battre