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LES ROUGON-MACQUART.

l’afficher comme son amant. Alors, les épingles étant venues à manquer :

— Tenez, mon ami, regardez dans la boîte d’ivoire, sur la toilette… Vraiment ! elle est vide ?… Soyez aimable, voyez donc sur la cheminée de la chambre : vous savez, au coin de la glace.

Et elle le mettait chez lui, l’installait en homme qui avait couché là, qui connaissait la place des peignes et des brosses. Quand il lui rapporta une pincée d’épingles, elle les prit une par une, le força de rester debout près d’elle, le regardant, lui parlant à voix basse.

— Je ne suis pas bossue peut-être… Donnez votre main, tâtez les épaules, par plaisir. Est-ce que je suis faite ainsi ?

Denise, lentement, avait levé les yeux, plus pâle encore, et s’était remise à piquer en silence les épingles. Mouret n’apercevait que ses lourds cheveux blonds, tordus sur la nuque délicate ; mais, au frisson qui les soulevait, il croyait voir le malaise et la honte du visage. Maintenant, elle le repousserait, elle le renverrait à cette femme, qui ne cachait même pas sa liaison devant les étrangers. Et des brutalités lui venaient aux poignets, il aurait battu Henriette. Comment la faire taire ? comment dire à Denise qu’il l’adorait, qu’elle seule existait à cette heure, qu’il lui sacrifiait toutes ses anciennes tendresses d’un jour ? Une fille n’aurait pas eu les familiarités équivoques de cette bourgeoise. Il retira sa main, il répéta :

— Vous avez tort de vous entêter, madame, puisque je trouve moi-même que ce vêtement est manqué.

Un des becs de gaz sifflait ; et, dans l’air étouffé et moite de la pièce, on n’entendit plus que ce souffle ardent. Les glaces de l’armoire reflétaient de larges pans de clarté vive sur les tentures de soie rouge, où dansaient les ombres des deux femmes. Un flacon de verveine,