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LES ROUGON-MACQUART.

vidant une dernière case. Puis, ces voix elles-mêmes se turent, il ne resta du vacarme de la journée qu’un grand frisson, au-dessus de la débâcle formidable des marchandises. Maintenant, les casiers, les armoires, les cartons, les boîtes, se trouvaient vides : pas un mètre d’étoffe, pas un objet quelconque n’était demeuré à sa place. Les vastes magasins n’offraient que la carcasse de leur aménagement, les menuiseries absolument nettes, comme au jour de l’installation. Cette nudité était la preuve visible du relevé complet et exact de l’inventaire. Et, à terre, s’entassaient seize millions de marchandises, une mer montante qui avait fini par submerger les tables et les comptoirs. Les commis, noyés jusqu’aux épaules, commençaient à replacer chaque article. On espérait avoir terminé vers dix heures.

Comme madame Aurélie, qui était de la première table, descendait du réfectoire, elle rapporta le chiffre d’affaires réalisées dans l’année, un chiffre que les additions des divers rayons donnaient à l’instant. Le total était de quatre-vingts millions, dix millions de plus que l’année précédente. Il n’y avait eu une baisse réelle que sur les soies de fantaisie.

— Si monsieur Mouret n’est pas content, je ne sais ce qu’il lui faut, ajouta la première. Tenez ! il est là-bas, en haut du grand escalier, l’air furieux.

Ces demoiselles allèrent le voir. Il était seul, debout, le visage sombre, au-dessus des millions écroulés à ses pieds.

— Madame, vint demander à ce moment Denise, seriez-vous assez bonne pour me permettre de me retirer ? Je ne sers plus à rien, à cause de ma jambe, et comme je dois dîner chez mon oncle, avec mes frères…

Ce fut un étonnement. Elle n’avait donc pas cédé ? Madame Aurélie hésita, parut sur le point de lui défendre de sortir, la voix brève et mécontente ; pendant que