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LES ROUGON-MACQUART.

n’entrer à son tour que lorsque le défilé aurait cessé, rougissante à l’idée d’être bousculée, sous la porte, au milieu de tous ces hommes. Mais le défilé continuait, et pour échapper aux regards, elle fit lentement le tour de la place. Quand elle revint, elle trouva, planté devant le Bonheur des Dames un grand garçon, blême et dégingandé, qui, depuis un quart d’heure, semblait attendre comme elle.

— Mademoiselle, finit-il par lui demander d’une voix balbutiante, vous êtes peut-être vendeuse dans la maison ?

Elle resta si émotionnée d’entendre ce garçon inconnu lui adresser la parole, qu’elle ne répondit pas d’abord.

— C’est que, voyez-vous, continua-t-il en s’embrouillant davantage, j’ai l’idée de voir si l’on ne pourrait pas m’y prendre, et vous m’auriez donné un renseignement.

Il était aussi timide qu’elle, il se risquait à l’aborder, parce qu’il la sentait tremblante comme lui.

— Ce serait avec plaisir, monsieur, répondit-elle enfin. Mais je ne suis pas plus avancée que vous, je suis là pour me présenter aussi.

— Ah ! très bien, dit-il tout à fait décontenancé.

Et ils rougirent fortement, leurs deux timidités demeurèrent un instant face à face, attendries par la fraternité de leurs situations, n’osant pourtant se souhaiter tout haut une bonne réussite. Puis, comme ils n’ajoutaient rien et qu’ils se gênaient de plus en plus, ils se séparèrent gauchement, ils recommencèrent à attendre chacun de son côté, à quelques pas l’un de l’autre.

Les commis entraient toujours. Maintenant, Denise les entendait plaisanter, quand ils passaient près d’elle, en lui jetant un coup d’œil oblique. Son embarras grandissait d’être ainsi en spectacle, elle se décidait à faire dans le quartier une promenade d’une demi-heure, lorsque la vue d’un jeune homme, qui arrivait rapidement par la rue Port-Mahon, l’arrêta une minute encore. Évi-