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AU BONHEUR DES DAMES.

longues tables. Dans un coin, étaient les grands couteaux mécaniques, pour couper les échantillons. Des pièces entières y passaient, on expédiait par an plus de soixante mille francs d’étoffes, ainsi déchiquetées en lanières. Du matin au soir, les couteaux hachaient la soie, la laine, la toile, avec un bruit de faux. Ensuite, il fallait assembler les cahiers, les coller ou les coudre. Et il y avait encore, entre les deux fenêtres, une petite imprimerie, pour les étiquettes.

— Plus bas donc ! criait de temps à autre madame Aurélie, qui n’entendait pas Denise lire les articles.

Quand la collation des premières listes fut terminée, elle laissa la jeune fille devant une des tables, plongée dans les additions. Puis, elle reparut presque tout de suite, elle installa mademoiselle de Fontenailles, dont les trousseaux n’avaient plus besoin, et qu’ils lui passaient. Cette dernière additionnerait aussi, on gagnerait du temps. Mais l’apparition de la marquise, comme la nommait Clara méchamment, avait remué le rayon. On riait, on plaisantait Joseph, des mots féroces arrivaient par la porte.

— Ne vous reculez pas, vous ne me gênez aucunement, dit Denise saisie d’une grande pitié. Tenez ! mon encrier suffira, vous prendrez de l’encre avec moi.

Mademoiselle de Fontenailles, dans l’hébétement de sa déchéance, ne trouva pas même un mot de gratitude. Elle devait boire, sa maigreur avait des teintes plombées, et ses mains seules, blanches et fines, disaient encore la distinction de sa race.

Cependant, les rires tombèrent tout d’un coup, on entendit la besogne reprendre son ronflement régulier. C’était Mouret qui faisait de nouveau le tour des rayons. Mais il s’arrêta, il chercha Denise, surpris de ne pas la voir. D’un signe, il avait appelé madame Aurélie ; et tous deux s’écartèrent, parlèrent bas un instant. Il devait