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LES ROUGON-MACQUART.

vait un regret désespéré de ce qu’il venait de faire. Ces gens avaient raison, à quel titre la défendait-il ? on allait croire toutes sortes de vilaines choses, il se serait battu lui-même, de l’avoir ainsi compromise, en voulant l’innocenter. C’était sa chance habituelle, il aurait mieux fait de crever tout de suite, car il ne pouvait même céder à son cœur, sans commettre des bêtises. Des larmes lui montaient aux yeux. N’était-ce pas également sa faute, si le magasin causait de la lettre écrite par le patron ? Il les entendait bien ricaner, avec des mots crus sur cette invitation, dont Liénard seul avait reçu la confidence ; et il s’accusait, il n’aurait pas dû laisser parler Pauline devant ce dernier, il se rendait responsable de l’indiscrétion commise.

— Pourquoi avez-vous raconté ça ? murmura-t-il enfin d’une voix douloureuse. C’est très mal.

— Moi ! répondit Liénard, mais je ne l’ai dit qu’à une ou deux personnes, en exigeant le secret… Est-ce qu’on sait comment les choses se répandent !

Lorsque Deloche se décida à boire un verre d’eau, toute la table éclata encore. On finissait, les employés renversés sur leurs chaises, attendaient le coup de cloche, s’interpellant de loin dans l’abandon du repas. Au grand comptoir central, on avait demandé peu de suppléments, d’autant plus que, ce jour-là, c’était la maison qui payait le café. Les tasses fumaient, des visages en sueur luisaient sous les vapeurs légères, flottantes comme des nuées bleues de cigarettes. Aux fenêtres, les stores tombaient, immobiles, sans un battement. Un d’eux remonta, une nappe de soleil traversa la salle, incendia le plafond. Le brouhaha des voix battait les murs d’un tel bruit, que le coup de cloche ne fut d’abord entendu que des tables voisines de la porte. On se leva, la débandade de la sortie emplit longuement les corridors.

Cependant, Deloche était resté en arrière, pour échapper