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AU BONHEUR DES DAMES.

Lui aussi regardait Deloche. Il ajouta d’un air provocant :

— Ceux qui aiment les os, peuvent se la payer pour cent sous.

Brusquement, il baissa la tête. Deloche, cédant à un mouvement irrésistible, venait de lui jeter son dernier verre de vin par la figure, en bégayant :

— Tiens ! sale menteur, j’aurais dû t’arroser hier !

Ce fut un esclandre. Quelques gouttes avaient éclaboussé les voisins de Favier, dont les cheveux seuls se trouvaient mouillés légèrement : le vin, lancé d’une main trop rude, était allé tomber de l’autre côté de la table. Mais on se fâchait. Il couchait donc avec, qu’il la défendait ainsi ? Quelle brute ! il aurait mérité une paire de gifles, pour apprendre à se conduire. Pourtant, les voix baissèrent, on signalait l’approche de l’inspecteur, et c’était inutile de mettre la direction dans la querelle. Favier se contenta de dire :

— S’il m’avait attrapé, vous auriez vu quelle danse !

Puis, cela finit par des moqueries. Lorsque Deloche, encore tremblant, voulut boire pour cacher son trouble, et qu’il saisit d’une main machinale son verre vide, des rires coururent. Il reposa son verre gauchement, il se mit à sucer les feuilles d’artichaut qu’il avait mangées déjà.

— Passez donc la carafe à Deloche, dit tranquillement Mignot. Il a soif.

Les rires redoublèrent. Ces messieurs prenaient des assiettes propres aux piles qui se dressaient sur la table, de distance en distance : tandis que les garçons promenaient le dessert, des pêches dans des corbeilles. Et tous se tinrent les côtes, lorsque Mignot ajouta :

— Chacun son goût, Deloche mange la pêche au vin.

Celui-ci restait immobile. La tête basse, comme sourd, il ne semblait pas entendre les plaisanteries, il éprou-