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AU BONHEUR DES DAMES.

Neuf heures sonnaient. Au dehors, un ciel d’un bleu ardent chauffait les rues, des fiacres roulaient vers les gares, toute la population endimanchée gagnait en longues files les bois de la banlieue. Dans le magasin, inondé de soleil par les grandes baies ouvertes, le personnel enfermé venait de commencer l’inventaire. On avait retiré les boutons des portes, des gens s’arrêtaient sur le trottoir, regardant par les glaces, étonnés de cette fermeture, lorsqu’on distinguait à l’intérieur une activité extraordinaire. C’était, d’un bout à l’autre des galeries, du haut en bas des étages, un piétinement d’employés, des bras en l’air, des paquets volant par dessus les têtes ; et cela au milieu d’une tempête de cris, de chiffres lancés, dont la confusion montait et se brisait en un tapage assourdissant. Chacun des trente-neuf rayons faisait sa besogne à part, sans s’inquiéter des rayons voisins. D’ailleurs, on attaquait à peine les casiers, il n’y avait encore par terre que quelques pièces d’étoffe. La machine devait s’échauffer, si l’on voulait finir le soir même.

— Pourquoi descendez-vous ? reprit Marguerite obligeamment, en s’adressant à Denise. Vous allez vous faire du mal, et nous avions le monde nécessaire.

— C’est ce que je lui ai dit, déclara madame Aurélie. Mais elle a voulu quand même nous aider.

Toutes ces demoiselles s’empressaient auprès de Denise. Le travail s’en trouva interrompu. On la complimentait, on écoutait avec des exclamations l’histoire de son entorse. Enfin, madame Aurélie la fit asseoir devant une table ; et il fut entendu qu’elle se contenterait d’inscrire les articles appelés. D’ailleurs, le dimanche de l’inventaire, on mettait à réquisition tous les employés capables de tenir une plume : les inspecteurs, les caissiers, les commis aux écritures, jusqu’aux garçons de magasin ; puis les divers rayons se partageaient ces