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LES ROUGON-MACQUART.

L’autre, surprise, regarda Clara, puis reporta les yeux sur Denise, en répondant :

— Mais non, pas la grande, la petite !

Et, comme madame Marty n’osait plus rien affirmer, madame Desforges ajouta à voix plus haute, avec un mépris de dame pour des femmes de chambre :

— Peut-être la petite et la grande, toutes celles qui veulent !

Denise avait entendu. Elle leva ses grands yeux purs sur cette dame qui la blessait ainsi et qu’elle ne connaissait pas. Sans doute, c’était la personne dont on lui avait parlé, cette amie que le patron voyait au dehors. Dans le regard qu’elles échangèrent, Denise eut alors une dignité si triste, une telle franchise d’innocence, qu’Henriette resta gênée.

— Puisque vous n’avez rien de possible à me montrer, dit-elle brusquement, conduisez-moi aux robes et costumes.

— Tiens ! cria madame Marty, j’y vais avec vous… Je voulais voir un costume pour Valentine.

Marguerite prit la chaise par le dossier, et la traîna, renversée, sur les pieds de derrière, qu’un tel charriage usait à la longue. Denise ne portait que les quelques mètres de foulard, achetés par madame Desforges. C’était tout un voyage, maintenant que les robes et costumes se trouvaient au second, à l’autre bout des magasins.

Et le grand voyage commença, le long des galeries encombrées. En tête marchait Marguerite, tirant la chaise comme une petite voiture, s’ouvrant un chemin avec lenteur. Dès la lingerie, madame Desforges se plaignit : était-ce ridicule, ces bazars où il fallait faire deux lieues pour mettre la main sur le moindre article ! Madame Marty se disait aussi morte de fatigue ; et elle n’en jouissait pas moins profondément de cette fatigue, de cette mort lente de ses forces, au milieu de l’inépui-