Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
LES ROUGON-MACQUART.

étourdie, et dont le désir d’être au Bonheur des Dames grandissait, au milieu de toute cette passion.

Il avait posé les coudes sur la table, il la fatiguait de son regard.

— Mais, voyons, toi qui es de la partie, dis-moi s’il est raisonnable qu’un simple magasin de nouveautés se mette à vendre de n’importe quoi. Autrefois, quand le commerce était honnête, les nouveautés comprenaient les tissus, pas davantage. Aujourd’hui, elles n’ont plus que l’idée de monter sur le dos des voisins et de tout manger… Voilà ce dont le quartier se plaint, car les petites boutiques commencent à y souffrir terriblement. Ce Mouret les ruine… Tiens ! Bédoré et sœur, la bonneterie de la rue Gaillon, a déjà perdu la moitié de sa clientèle. Chez mademoiselle Tatin, la lingère du passage Choiseul, on en est à baisser les prix, à lutter de bon marché. Et l’effet du fléau, de cette peste, se fait sentir jusqu’à la rue Neuve-des-Petits-Champs, où je me suis laissé dire que messieurs Vanpouille frères, les fourreurs, ne pouvaient tenir le coup… Hein ? des calicots qui vendent des fourrures, c’est trop drôle ! Une idée du Mouret encore !

— Et les gants, dit madame Baudu. N’est-ce pas monstrueux ? il a osé créer un rayon de ganterie !… Hier, comme je passais rue Neuve-Saint-Augustin, Quinette se trouvait sur sa porte, l’air si triste, que je n’ai pas voulu lui demander si les affaires allaient bien.

— Et les parapluies, reprit Baudu. Ça, c’est le comble ! Bourras est persuadé que le Mouret a voulu simplement le couler ; car, enfin, à quoi ça rime-t-il, des parapluies avec des étoffes ?… Mais Bourras est solide, il ne se laissera pas égorger. Nous allons rire, un de ces jours.

Il parla d’autres commerçants, il passa le quartier en revue. Parfois, des aveux lui échappaient : si Vinçard tâchait de vendre, tous n’avaient plus qu’à faire leurs