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AU BONHEUR DES DAMES.

nous battrons à notre tour, donnez-nous la boutique telle qu’elle est, pour que nous fassions le miracle de la sauver ! » Puis, il le regarda, et il fut pris de honte, il s’accusa sourdement d’avoir voulu duper ses enfants. La vieille honnêteté maniaque du boutiquier se réveillait en lui ; c’était ce garçon prudent qui avait raison, car il n’y a pas de sentiment dans le commerce, il n’y a que des chiffres.

— Embrasse-moi, mon garçon, dit-il pour conclure. C’est décidé, nous ne reparlerons du mariage que dans un an. Avant tout, il faut songer au sérieux.

Le soir, dans leur chambre, quand madame Baudu questionna son mari sur le résultat de l’entretien, celui-ci avait retrouvé son obstination à combattre en personne, jusqu’au bout. Il fit un grand éloge de Colomban : un garçon solide, ferme dans ses idées, élevé d’ailleurs selon les bons principes, incapable par exemple de rire avec les clientes, ainsi que les godelureaux du Bonheur. Non, c’était honnête, c’était de la famille, ça ne jouait pas sur la vente comme sur une valeur de Bourse.

— Alors, à quand le mariage ? demanda madame Baudu.

— Plus tard, répondit-il, lorsque je serai en mesure de tenir mes promesses.

Elle n’eut pas un geste, elle dit seulement :

— Notre fille en mourra.

Baudu se retint, soulevé de colère. C’était lui, qui en mourrait, si on le bouleversait ainsi continuellement ! Était-ce sa faute ? Il aimait sa fille, il parlait de donner son sang pour elle ; mais il ne pouvait cependant pas faire que la maison marchât, quand elle ne voulait plus marcher. Geneviève devait avoir un peu de raison et patienter jusqu’à un meilleur inventaire. Que diable ! Colomban restait là, personne ne le lui volerait !

— C’est incroyable ! répétait-il, une fille si bien élevée !