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AU BONHEUR DES DAMES.

enfants ce dépôt de famille ; et c’est pourquoi j’ai toujours reculé ton mariage avec Geneviève… Oui, je m’entêtais, j’espérais ramener la prospérité ancienne, je voulais te mettre les livres sous le nez, en disant : « Tiens ! l’année où je suis entré, on a vendu tant de drap, et cette année-ci, l’année où je sors, on en a vendu dix mille ou vingt mille francs de plus… » Enfin, tu comprends, un serment que je me suis fait, le désir bien naturel de me prouver que la maison n’a pas perdu entre mes mains. Autrement, il me semblerait que je vous vole.

Une émotion étranglait sa voix. Il se moucha pour se remettre, il demanda :

— Tu ne dis rien ?

Mais Colomban n’avait rien à dire. Il hochait la tête, il attendait, de plus en plus troublé, croyant deviner où allait en venir le patron. C’était le mariage à bref délai. Comment refuser ? Jamais il n’aurait la force. Et l’autre, celle dont il rêvait la nuit, la chair brûlée d’une telle flamme, qu’il se jetait tout nu sur le carreau, de peur d’en mourir !

— Aujourd’hui, continua Baudu, voilà un argent qui peut nous sauver. La situation devient plus mauvaise chaque jour, mais peut-être qu’en faisant un suprême effort… Enfin, je tenais à t’avertir. Nous allons risquer le tout pour le tout. Si nous sommes battus, eh bien ! ça nous enterrera… Seulement, mon pauvre garçon, votre mariage, du coup, va être encore reculé, car je ne veux pas vous jeter tout seuls dans la bagarre. Ce serait trop lâche, n’est-ce pas ?

Colomban, soulagé, s’était assis sur des pièces de molleton. Ses jambes gardaient un tremblement. Il craignait de laisser voir sa joie, il baissait la tête, en roulant les doigts sur les genoux.

— Tu ne dis rien ? répéta Baudu.