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LES ROUGON-MACQUART.

Lui, ne sentait rien. Il resta surpris.

— Ferme la fenêtre, si cela t’amuse, répondit-il enfin. Seulement, nous manquerons d’air.

En effet, on étouffa. C’était un dîner de famille, fort simple. Après le potage, dès que la bonne eut servi le bouilli, l’oncle en vint fatalement aux gens d’en face. Il se montra d’abord très tolérant, il permettait à sa nièce d’avoir une opinion différente.

— Mon Dieu ! tu es bien libre de soutenir ces grandes chabraques de maisons… Chacun son idée, ma fille… Du moment que ça ne t’a pas dégoûtée d’être salement flanquée à la porte, c’est que tu dois avoir des raisons solides pour les aimer ; et tu y rentrerais, vois-tu, que je ne t’en voudrais pas du tout… N’est-ce pas ? personne ici ne lui en voudrait.

— Oh ! non, murmura madame Baudu.

Denise, posément, dit ses raisons, comme elle les disait chez Robineau : l’évolution logique du commerce, les nécessités des temps modernes, la grandeur de ces nouvelles créations, enfin le bien-être croissant du public. Baudu, les yeux arrondis, la bouche épaisse, l’écoutait, avec une visible tension d’intelligence. Puis, quand elle eut terminé, il secoua la tête.

— Tout ça, ce sont des fantasmagories. Le commerce est le commerce, il n’y a pas à sortir de là… Oh ! je leur accorde qu’ils réussissent, mais c’est tout. Longtemps, j’ai cru qu’ils se casseraient les reins ; oui, j’attendais ça, je patientais, tu te rappelles ? Eh bien ! non, il paraît qu’aujourd’hui ce sont les voleurs qui font fortune, tandis que les honnêtes gens meurent sur la paille… Voilà où nous en sommes, je suis forcé de m’incliner devant les faits. Et je m’incline, mon Dieu ! je m’incline…

Une sourde colère le soulevait peu à peu. Il brandit tout d’un coup sa fourchette.

— Mais jamais le Vieil Elbeuf ne fera une concession !…