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LES ROUGON-MACQUART.

raisonnable, avec ses beaux cheveux, lourds de tendresse.

— Puisque vous êtes des nôtres, dit-il en riant, pourquoi restez-vous chez nos adversaires ?… Ainsi, ne m’a-t-on pas dit également que vous logiez chez ce Bourras ?

— Un bien digne homme, murmura-t-elle.

— Non, laissez donc ! un vieux toqué, un fou qui me forcera à le mettre sur la paille, lorsque je voudrais m’en débarrasser avec une fortune !… D’abord, votre place n’est pas chez lui, sa maison est mal famée, il loue à des personnes…

Mais il sentit la jeune fille confuse, il se hâta d’ajouter :

— On peut être honnête partout, et il y a même plus de mérite à l’être, quand on n’est pas riche.

Ils firent de nouveau quelques pas en silence. Pépé semblait écouter de son air attentif d’enfant précoce. Par moments, il levait les yeux sur sa sœur, dont la main brûlante, secouée de légers tressaillements, l’étonnait :

— Tenez ! reprit gaiement Mouret, voulez-vous être mon ambassadeur ? Demain, j’avais l’intention d’augmenter encore mon offre, de faire proposer à Bourras quatre-vingt mille francs… Parlez-lui-en la première, dites-lui donc qu’il se suicide. Il vous écoutera peut-être, puisqu’il a de l’amitié pour vous, et vous lui rendriez un véritable service.

— Soit ! répondit Denise, souriante elle aussi. Je ferai la commission, mais je doute de réussir.

Et le silence retomba. Ni l’un ni l’autre n’avait plus rien à se dire. Un instant, il essaya de causer de l’oncle Baudu ; puis, il dut se taire, en voyant le malaise de la jeune fille. Cependant, ils continuaient de se promener côte à côte, ils débouchèrent enfin, vers la rue de Rivoli, dans une allée où il faisait jour encore. Au sortir de la nuit des arbres, ce fut comme un brusque réveil. Il comprit qu’il ne pouvait la retenir davantage.