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LES ROUGON-MACQUART.

— Et puis, qu’importe ? si tu as fait ce que tu voulais faire, reprenait-elle. Pourvu que tu te contentes, ça me contente, mon bon chéri.

Denise se prenait d’affection, en voyant leur tendresse. Elle tremblait, elle sentait la chute inévitable ; mais elle n’osait plus intervenir. Ce fut là qu’elle acheva de comprendre la puissance du nouveau commerce et de se passionner pour cette force qui transformait Paris. Ses idées mûrissaient, une grâce de femme se dégageait, en elle, de l’enfant sauvage débarquée de Valognes. Du reste, sa vie était assez douce, malgré sa fatigue et son peu d’argent. Lorsqu’elle avait passé la journée debout, il lui fallait rentrer vite, s’occuper de Pépé, que le vieux Bourras, heureusement, s’obstinait à nourrir ; mais c’étaient encore des soins, une chemise à laver, une blouse à recoudre, sans compter le tapage du petit, dont elle avait la tête fendue. Elle ne se couchait jamais avant minuit. Le dimanche était son jour de grosse besogne : elle nettoyait sa chambre, se raccommodait elle-même, si occupée, qu’elle ne se peignait souvent qu’à cinq heures. Cependant, elle sortait quelquefois par raison, emmenait l’enfant, lui faisait faire une longue course à pied, du côté de Neuilly ; et leur régal était de boire, là-bas, une tasse de lait chez un nourrisseur, qui les laissait s’asseoir dans sa cour. Jean dédaignait ces parties ; il se montrait de loin en loin, les soirs de semaine, puis disparaissait, en prétextant d’autres visites ; il ne demandait plus d’argent, mais il arrivait avec des airs si mélancoliques, que sa sœur, inquiète, avait toujours pour lui une pièce de cent sous de côté. Son luxe était là.

— Cent sous ! criait chaque fois Jean. Sacristi ! tu es trop gentille !… Justement, il y a la femme du papetier…

— Tais-toi, interrompait Denise. Je n’ai pas besoin de savoir.

Mais il croyait qu’elle l’accusait de se vanter.