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LES ROUGON-MACQUART.

énormes lui et ses collègues allaient s’imposer, pour livrer une pareille étoffe à si bon compte ; mais ils s’y ruineraient plutôt, ils avaient juré de tuer les grands magasins. Comme on apportait le café, la gaieté fut encore accrue par l’arrivée de Vinçard. Il entrait en passant dire un petit bonjour à son successeur.

— Fameux ! cria-t-il, en palpant la soie. Vous les roulerez, je vous en réponds !… Hein ! vous me devrez une fière chandelle. Je vous le disais bien, qu’il y avait ici une affaire d’or !

Lui, venait de prendre un restaurant à Vincennes. C’était un rêve ancien, nourri sournoisement tandis qu’il se débattait dans les soies, tremblant de ne pas trouver à vendre son fonds avant la débâcle, se jurant de mettre son pauvre argent dans un commerce où l’on pût voler à l’aise. Cette idée d’un restaurant lui était venue après la noce d’un cousin : la bouche allait toujours, on leur avait fait payer dix francs de l’eau de vaisselle, où nageaient des pâtes. Et, devant Robineau, sa joie de leur avoir mis sur les épaules une mauvaise affaire dont il désespérait de se débarrasser, élargissait encore sa face aux yeux ronds et à la grande bouche loyale, qui crevait de santé.

— Et vos douleurs ? demanda obligeamment madame Robineau.

— Hein ? mes douleurs ? murmura-t-il étonné.

— Oui, ces rhumatismes qui vous tourmentaient ici.

Il se souvint, il rougit légèrement.

— Oh ! j’en souffre toujours… Pourtant, l’air de la campagne, vous comprenez… N’importe, vous avez fait une riche affaire. Sans mes rhumatismes, je me retirais avec dix mille francs de rente, avant dix ans… parole d’honneur !

Quinze jours plus tard, la lutte s’engageait entre Robineau et le Bonheur des Dames. Elle fut célèbre, elle