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LES ROUGON-MACQUART.

— Vous avez beau pousser pour que la maison tombe… Vous ne l’aurez pas, quand même vous envahiriez la rue entière !

Denise, maintenant, avait du pain tous les jours. Elle en gardait une vive gratitude au vieux marchand, dont elle sentait le bon cœur, sous les étrangetés violentes. Son vif désir était cependant de trouver ailleurs du travail, car elle le voyait inventer de petites besognes, elle comprenait qu’il n’avait pas besoin d’une ouvrière, dans la débâcle de son commerce, et qu’il l’employait par charité pure. Six mois s’étaient passés, on venait de retomber dans la morte-saison d’hiver. Elle désespérait de se caser avant mars, lorsque, un soir de janvier, Deloche, qui la guettait sous une porte, lui donna un conseil. Pourquoi n’allait-elle pas se présenter chez Robineau, où l’on avait peut-être besoin de monde ?

En septembre, Robineau s’était décidé à acheter le fonds de Vinçard, tout en redoutant de compromettre les soixante mille francs de sa femme. Il avait payé quarante mille francs la spécialité de soies, et il se lançait avec les vingt mille autres. C’était peu, mais il avait derrière lui Gaujean, qui devait le soutenir par de longs crédits. Depuis sa brouille avec le Bonheur des Dames, ce dernier rêvait de susciter au colosse des concurrences ; il croyait la victoire certaine, si l’on créait dans le voisinage plusieurs spécialités, où les clientes trouveraient un choix très varié d’articles. Seuls, les riches fabricants de Lyon, comme Dumonteil, pouvaient accepter les exigences des grands magasins ; ils se contentaient d’alimenter avec eux leurs métiers, quittes à chercher ensuite des bénéfices, en vendant aux maisons moins importantes. Mais Gaujean était loin d’avoir les reins solides de Dumonteil. Longtemps simple commissionnaire, il n’avait des métiers à lui que depuis cinq ou six ans, et encore faisait-il travailler beaucoup de façonniers, auxquels il fournissait