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AU BONHEUR DES DAMES.

une petite commode de noyer, une table de sapin noirci et deux chaises. Les locataires qui faisaient un peu de cuisine s’agenouillaient devant la cheminée, où se trouvait un fourneau de terre.

— Mon Dieu ! disait le vieillard, ce n’est pas riche, mais la fenêtre est gaie, on voit le monde dans la rue.

Et, comme Denise regardait avec surprise l’angle du plafond, au-dessus du lit, où une dame de passage avait écrit son nom : Ernestine, en promenant la flamme d’une chandelle, il ajouta d’un air bonhomme :

— Si l’on réparait, on ne joindrait jamais les deux bouts… Enfin, voilà tout ce que j’ai.

— Je serai très bien, déclara la jeune fille.

Elle paya un mois d’avance, demanda le linge, une paire de draps et deux serviettes, et fit son lit sans attendre, heureuse, soulagée de savoir où coucher le soir. Une heure plus tard, elle avait envoyé un commissionnaire chercher sa malle, elle était installée.

Ce furent d’abord deux mois de terrible gêne. Ne pouvant plus payer la pension de Pépé, elle l’avait repris et le couchait sur une vieille bergère prêtée par Bourras. Il lui fallait strictement trente sous chaque jour, le loyer compris, en consentant à vivre elle-même de pain sec, pour donner un peu de viande à l’enfant. La première quinzaine encore, les choses marchèrent : elle était entrée avec dix francs en ménage, puis elle eut la chance de retrouver l’entrepreneuse de cravates, qui lui paya ses dix-huit francs trente. Mais, ensuite, son dénuement devint complet. Elle eut beau se présenter dans les magasins, à la place Clichy, au Bon Marché, au Louvre : la morte-saison arrêtait partout les affaires, on la renvoyait à l’automne, plus de cinq mille employés de commerce, congédiés comme elle, battaient le pavé, sans place. Alors, elle tâcha de se procurer de petits travaux ; seulement, dans son ignorance de Paris, elle ne