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LES ROUGON-MACQUART.

et parlant très bas, l’autre écoutant, sans qu’un trait de son visage sévère laissât voir ses impressions.

— C’est bien, finit par dire ce dernier.

Et, comme ils étaient arrivés devant les confections, il entra. Justement, madame Aurélie se fâchait contre Denise. D’où venait-elle encore ? cette fois, elle ne dirait peut-être pas qu’elle était montée à l’atelier. Vraiment, ces disparitions continuelles ne pouvaient se tolérer davantage.

— Madame Aurélie ! appela Bourdoncle.

Il se décidait à un coup de force, il ne voulait pas consulter Mouret, de peur d’une faiblesse. La première s’avança, et de nouveau l’histoire fut contée à voix basse. Tout le rayon attendait, flairant une catastrophe. Enfin, madame Aurélie se tourna, l’air solennel.

— Mademoiselle Baudu…

Et son masque empâté d’empereur avait l’immobilité inexorable de la toute-puissance.

— Passez à la caisse !

La terrible phrase sonna très haut, dans le rayon alors vide de clientes. Denise était demeurée droite et blanche, sans un souffle. Puis, elle eut des mots entrecoupés.

— Moi ! moi !… Pourquoi donc ? qu’ai-je fait ?

Bourdoncle répondit durement qu’elle le savait, qu’elle ferait mieux de ne pas provoquer une explication ; et il parla des cravates, et il dit que ce serait joli, si toutes ces demoiselles voyaient des hommes dans le sous-sol.

— Mais c’est mon frère ! cria-t-elle avec la colère douloureuse d’une vierge violentée.

Marguerite et Clara se mirent à rire, tandis que madame Frédéric, si discrète d’habitude, hochait également la tête d’un air incrédule. Toujours son frère ! c’était bête à la fin ! Alors, Denise les regarda tous : Bourdoncle, qui dès la première heure ne voulait pas d’elle ; Jouve, resté là pour témoigner, et dont elle