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LES ROUGON-MACQUART.

Ses moustaches remuèrent, une flamme incendia son nez énorme, un nez creux et recourbé, aux appétits de taureau.

— Hein ? qu’avez-vous, toutes les deux, pour vous aimer comme ça ?

Denise, sans comprendre, était reprise de malaise. Il s’approchait trop, il lui parlait dans la figure.

— C’est vrai, nous causions, monsieur Jouve, balbutia-t-elle, mais il n’y a pas grand mal à causer un peu… Vous êtes bien bon pour moi, merci tout de même.

— Je ne devrais pas être bon, dit-il. La justice, je ne connais que ça… Seulement, quand on est si gentille…

Et il s’approchait encore. Alors, elle eut tout à fait peur. Les paroles de Pauline lui revenaient à la mémoire, elle se rappelait les histoires qui couraient, des vendeuses terrorisées par le père Jouve, achetant sa bienveillance. Au magasin, d’ailleurs, il se contentait de petites privautés, claquait doucement de ses doigts enflés les joues des demoiselles complaisantes, leur prenait les mains, puis les gardait, comme s’il les avait oubliées dans les siennes. Cela restait paternel, et il ne lâchait le taureau que dehors, lorsqu’on voulait bien accepter des tartines de beurre, chez lui, rue des Moineaux.

— Laissez-moi, murmura la jeune fille en reculant.

— Voyons, disait-il, vous n’allez pas faire la sauvage avec un ami qui vous ménage toujours… Soyez aimable, venez ce soir tremper une tartine dans une tasse de thé. C’est de bon cœur.

Elle se débattait, maintenant.

— Non ! non !

La salle à manger demeurait vide, le garçon n’avait point reparu. Jouve, l’oreille tendue au bruit des pas, jeta vivement un regard autour de lui ; et, très excité, sortant de sa tenue, dépassant ses familiarités de père, il voulut la baiser sur le cou.