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LES ROUGON-MACQUART.

dises. Baudu et Denise trouvèrent Vinçard en grande conférence avec deux messieurs.

— Ne vous dérangez pas, cria le drapier. Nous ne sommes pas pressés, nous attendrons.

Et, revenant par discrétion vers la porte, se penchant à l’oreille de la jeune fille, il ajouta :

— Le maigre est au Bonheur second à la soie et le gros est un fabricant de Lyon.

Denise comprit que Vinçard poussait son magasin à Robineau, le commis du Bonheur des Dames. L’air franc, la mine ouverte, il donnait sa parole d’honneur, avec la facilité d’un homme que les serments ne gênaient pas. Selon lui, sa maison était une affaire d’or ; et, dans l’éclat de sa grosse santé, il s’interrompait pour geindre, pour se plaindre de ses sacrées douleurs, qui le forçaient à manquer sa fortune. Mais Robineau, nerveux et tourmenté, l’interrompait avec impatience : il connaissait la crise que les nouveautés traversaient, il citait une spécialité de soie tuée déjà par le voisinage du Bonheur. Vinçard, enflammé, éleva la voix.

— Parbleu ! la culbute de ce grand serin de Vabre était fatale. Sa femme mangeait tout… Puis, nous sommes ici à plus de cinq cents mètres, tandis que Vabre se trouvait porte à porte avec l’autre.

Alors, Gaujean, le fabricant de soie, intervint. De nouveau, les voix baissèrent. Lui, accusait les grands magasins de ruiner la fabrication française ; trois ou quatre lui faisaient la loi, régnaient en maîtres sur le marché ; et il laissait entendre que la seule façon de les combattre était de favoriser le petit commerce, les spécialités surtout, auxquelles l’avenir appartenait. Aussi offrait-il des crédits très larges à Robineau.

— Voyez comme le Bonheur s’est conduit à votre égard ! répétait-il. Aucun compte des services rendus, des machines à exploiter le monde !… La situation de premier