Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/199

Cette page a été validée par deux contributeurs.
199
AU BONHEUR DES DAMES.

Mais un léger sifflement les fit taire. On signalait la présence de Mouret et de Bourdoncle dans le couloir. Depuis quelque temps, les plaintes des employés devenaient telles, que la direction affectait de descendre juger par elle-même la qualité de la nourriture. Sur les trente sous qu’elle donnait au chef, par jour et par tête, celui-ci devait tout payer, provisions, charbon, gaz, personnel ; et elle montrait des étonnements naïfs, quand ce n’était pas très bon. Le matin encore, chaque rayon avait délégué un vendeur, Mignot et Liénard s’étaient chargés de parler au nom de leurs camarades. Aussi, dans le brusque silence, les oreilles se tendirent, on écouta des voix qui sortaient de la salle voisine, où Mouret et Bourdoncle venaient d’entrer. Celui-ci déclarait le bœuf excellent ; et Mignot, suffoqué par cette affirmation tranquille, répétait : « Mâchez-le, pour voir ; » pendant que Liénard, s’attaquant à la raie, disait avec douceur : « Mais elle pue, monsieur ! » Alors, Mouret se répandit en paroles cordiales : il ferait tout pour le bien-être de ses employés, il était leur père, il préférait manger du pain sec que de les savoir mal nourris.

— Je vous promets d’étudier la question, finit-il par conclure, en haussant le ton, de manière à être entendu d’un bout du couloir à l’autre.

L’enquête de la direction était terminée, le bruit des fourchettes recommença. Hutin murmurait :

— Oui, compte là-dessus, et bois de l’eau !… Ah ! ils ne sont pas chiches de bonnes paroles. Veux-tu des promesses, en voilà ! Et ils vous nourrissent de vieilles semelles, et ils vous flanquent à la porte comme des chiens !

Le vendeur qui l’avait déjà questionné, répéta :

— Vous dites donc que votre Robineau… ?

Mais un tapage de grosse vaisselle couvrit sa voix. Les commis changeaient d’assiettes eux-mêmes, les piles