Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.
197
AU BONHEUR DES DAMES.

quatre mètres sur cinq, qu’on avait enduites au ciment et aménagées en réfectoires ; mais l’humidité crevait la peinture, les murailles jaunes se marbraient de taches verdâtres ; et, du puits étroit des soupiraux, ouvrant sur la rue, au ras du trottoir, tombait un jour livide, sans cesse traversé par les ombres vagues des passants. En juillet comme en décembre, on y étouffait, dans la buée chaude, chargée d’odeurs nauséabondes, que soufflait le voisinage de la cuisine.

Cependant, Hutin était entré le premier. Sur la table, scellée d’un bout dans le mur et couverte d’une toile cirée, il n’y avait que les verres, les fourchettes et les couteaux, marquant les places. Des piles d’assiettes de rechange se dressaient à chaque extrémité ; tandis que, au milieu, s’allongeait un gros pain, percé d’un couteau, le manche en l’air. Hutin se débarrassa de sa bouteille, posa son assiette ; puis, après avoir pris sa serviette, au bas du casier, qui était le seul ornement des murailles, il s’assit en poussant un soupir.

— Avec ça, j’ai une faim ! murmura-t-il.

— C’est toujours ainsi, dit Favier, qui s’installait à sa gauche. Il n’y a rien, quand on crève.

La table se remplissait rapidement. Elle contenait vingt-deux couverts. D’abord, il n’y eut qu’un tapage violent de fourchettes, une goinfrerie de grands gaillards aux estomacs creusés par treize heures de fatigues quotidiennes. Dans les commencements, les commis, qui avaient une heure pour manger, pouvaient aller prendre leur café dehors ; aussi dépêchaient-ils le déjeuner en vingt minutes, avec la hâte de gagner la rue. Mais cela les remuait trop, ils rentraient distraits, l’esprit détourné de la vente ; et la direction avait décidé qu’ils ne sortiraient plus, qu’ils paieraient trois sous de supplément, pour une tasse de café, s’ils en voulaient. Aussi, maintenant, faisaient-ils traîner le repas, peu soucieux de