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LES ROUGON-MACQUART.

le jeune homme. Rien n’était plus facile, on donnait cinq francs à madame Cabin, toutes ces demoiselles en usaient. Baugé fit les honneurs de sa chambre, garnie de vieux meubles Empire, envoyés par son père. Il se fâcha, quand Denise parla de régler, puis finit par accepter les quinze francs soixante, qu’elle avait posés sur la commode ; mais il voulut alors lui offrir une tasse de thé, et il se battit contre une bouilloire à esprit de vin, fut obligé de redescendre acheter du sucre. Minuit sonnait, quand il emplit les tasses.

— Il faut que je m’en aille, répétait Denise.

Et Pauline répondait :

— Tout à l’heure… Les théâtres ne ferment pas si tôt.

Denise était gênée dans cette chambre de garçon. Elle avait vu son amie se mettre en jupon et en corset, elle la regardait préparer le lit, l’ouvrir, taper les oreillers de ses bras nus ; et ce petit ménage d’une nuit d’amour, fait devant elle, la troublait, lui causait une honte, en éveillant de nouveau, dans son cœur blessé, le souvenir de Hutin. Ce n’était guère salutaire des journées pareilles. Enfin à minuit un quart, elle les quitta. Mais elle partit confuse, lorsque, en réponse à son souhait innocent d’une bonne nuit, Pauline cria étourdiment.

— Merci, la nuit sera bonne !

La porte particulière qui menait à l’appartement de Mouret et aux chambres du personnel, se trouvait rue Neuve-Saint-Augustin. Madame Cabin tirait le cordon, puis donnait un coup d’œil, pour pointer la rentrée. Une veilleuse éclairait faiblement le vestibule, Denise se trouva dans cette lueur, hésitante, prise d’une inquiétude, car en tournant le coin de la rue, elle avait vu la porte se refermer sur l’ombre vague d’un homme. Ce devait être le patron, rentrant de soirée ; et l’idée qu’il était là, dans le noir, à l’attendre peut-être, lui causait une de ces peurs étranges, dont il la bouleversait encore, sans