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AU BONHEUR DES DAMES.

avec ce garçon. Pourtant, comme on avait une heure encore avant de prendre le train, ils allèrent jusqu’au bout de l’île, ils suivirent la berge, sous les grands arbres ; et, de temps à autre, ils se retournaient, ils murmuraient :

— Où sont-ils donc ? Ah ! les voici… C’est drôle tout de même.

D’abord, Denise et Deloche avaient gardé le silence. Lentement, le vacarme du restaurant se mourait, prenait une douceur musicale, au fond de la nuit ; et ils entraient plus avant dans le froid des arbres, encore fiévreux de cette fournaise, dont les bougies s’éteignaient une à une, derrière les feuilles. En face d’eux, c’était comme un mur de ténèbres, une masse d’ombre, si compacte, qu’ils ne distinguaient pas même la trace pâle du sentier. Cependant, ils allaient avec douceur, sans crainte. Puis, leurs yeux s’accoutumèrent, ils virent à droite les troncs des peupliers, pareils à des colonnes sombres portant les dômes de leurs branches, criblés d’étoiles ; tandis que, sur la droite, l’eau par moments avait dans le noir un luisant de miroir d’étain. Le vent tombait, ils n’entendaient plus que le ruissellement de la rivière.

— Je suis très content de vous avoir rencontrée, finit par balbutier Deloche, qui se décida à parler le premier. Vous ne savez pas combien vous me faites plaisir, en consentant à vous promener avec moi.

Et, les ténèbres aidant, après bien des paroles embarrassées, il osa dire qu’il l’aimait. Depuis longtemps, il voulait le lui écrire ; et jamais elle ne l’aurait su peut-être, sans cette belle nuit complice, sans cette eau qui chantait et ces arbres qui les couvraient du rideau de leurs ombrages. Pourtant, elle ne répondait point, elle marchait toujours à son bras, du même pas de souffrance. Il cherchait à lui voir le visage, lorsqu’il entendit un léger sanglot.