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LES ROUGON-MACQUART.

bataille, Hutin brusquement parut. En vareuse rouge, une toque renversée derrière le crâne, il avait à son bras la grande fille blanche, la barreuse, qui, pour porter les couleurs de l’yole, s’était planté une touffe de coquelicots sur l’oreille. Des clameurs, des applaudissements accueillirent leur entrée ; et il rayonnait, il bombait la poitrine en se dandinant avec le roulis des marins, il étalait un coup de poing qui lui bleuissait la joue, tout gonflé de la joie d’être remarqué. Derrière eux, l’équipe suivait. Une table fut prise d’assaut, le tapage devint formidable.

— Il paraît, expliqua Baugé, après avoir écouté les conversations derrière lui, il paraît que les étudiants ont reconnu la femme de Hutin, une ancienne du quartier, qui chante à présent dans un beuglant, à Montmartre. Et alors on s’est cogné pour elle… Ces étudiants, ça ne paie jamais les femmes !

— En tout cas, dit Pauline d’un air pincé, elle est joliment laide, celle-là, avec ses cheveux carotte… Vrai, je ne sais où monsieur Hutin les ramasse, mais elles sont toutes plus sales les unes que les autres.

Denise avait pâli. C’était en elle un froid de glace, comme si, goutte à goutte, le sang de son cœur se fût retiré. Déjà, sur la berge, devant l’yole rapide, elle avait senti un premier frisson ; et, maintenant, elle ne pouvait douter, cette fille était bien avec Hutin. La gorge serrée, les mains tremblantes, elle ne mangeait plus.

— Qu’avez-vous ? demanda son amie.

— Rien, balbutia-t-elle, il fait un peu chaud.

Mais la table de Hutin était voisine, et quand il eut aperçu Baugé, qu’il connaissait, il engagea la conversation d’une voix aiguë, pour continuer à occuper la salle.

— Dites donc, cria-t-il, êtes-vous toujours vertueux, au Bon Marché ?

— Pas tant que ça, répondit l’autre très rouge.