Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
AU BONHEUR DES DAMES.

— Eh bien ! vous n’êtes pas raisonnable… C’est forcé, ma chère, et si naturel ! Nous avons toutes passé par là. Moi, tenez ! j’étais au pair, comme vous. Pas un liard. On est couchée et nourrie, bien sûr ; mais il y a la toilette, puis il est impossible de rester sans un sou, renfermée dans sa chambre, à regarder voler les mouches. Alors, mon Dieu ! il faut se laisser aller…

Et elle parla de son premier amant, un clerc d’avoué, qu’elle avait connu dans une partie, à Meudon. Après celui-là, elle s’était mise avec un employé des postes. Enfin, depuis l’automne, elle fréquentait un vendeur du Bon Marché, un grand garçon très gentil, chez lequel elle passait toutes ses heures libres. Jamais qu’un à la fois, du reste. Elle était honnête, elle s’indignait, lorsqu’on parlait de ces filles qui se donnent au premier venu.

— Je ne vous dis point de vous mal conduire, au moins ! reprit-elle vivement. Ainsi je ne voudrais pas être rencontrée en compagnie de votre Clara, de peur qu’on ne m’accusât de faire la noce comme elle. Mais, quand on est tranquillement avec quelqu’un, et qu’on n’a aucun reproche à s’adresser… Ça vous semble donc vilain ?

— Non, répondit Denise. Ça ne me va pas, voilà tout.

Il y eut un nouveau silence. Dans la petite chambre glacée, toutes deux se souriaient, émues de cette conversation à voix basse.

— Et puis, il faudrait d’abord avoir de l’amitié pour quelqu’un, reprit-elle, les joues roses.

La lingère fut très étonnée. Elle finit par rire, et elle l’embrassa une seconde fois, en disant :

— Mais, ma chérie, quand on se rencontre et qu’on se plaît ! Êtes-vous drôle ! On ne vous forcera pas… Voyons, voulez-vous que dimanche Baugé nous conduise quelque part à la campagne ? Il amènera un de ses amis.

— Non, répéta Denise avec une douceur entêtée.