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AU BONHEUR DES DAMES.

dû jusque là se borner à de rares paroles, échangées en courant. Pauline occupait bien une chambre voisine, à droite de la chambre de Denise ; mais, comme elle disparaissait au sortir de table et ne revenait pas avant onze heures, cette dernière l’entendait seulement se mettre au lit, sans jamais la rencontrer, en dehors des heures de travail.

Cette nuit-là, Denise s’était résignée à faire de nouveau le cordonnier. Elle tenait ses souliers, les examinait, regardait comment elle pourrait les mener au bout du mois. Enfin, avec une forte aiguille, elle avait pris le parti de recoudre les semelles, qui menaçaient de quitter l’empeigne. Pendant ce temps, un col et des manches trempaient dans la cuvette, pleine d’eau de savon.

Chaque soir, elle entendait les mêmes bruits, ces demoiselles qui rentraient une à une, de courtes conversations chuchotées, des rires, parfois des querelles, qu’on étouffait. Puis, les lits craquaient, il y avait des bâillements ; et les chambres tombaient à un lourd sommeil. Sa voisine de gauche rêvait souvent tout haut, ce qui l’avait effrayée d’abord. Peut-être, d’autres, à son exemple, veillaient-elles pour se raccommoder, malgré le règlement ; mais ce devait être avec les précautions qu’elle prenait elle-même, les gestes ralentis, les moindres chocs évités, car un silence frissonnant sortait seul des portes closes.

Onze heures étaient sonnées depuis dix minutes, lorsqu’un bruit de pas lui fit lever la tête. Encore une de ces demoiselles qui se trouvait en retard ! Et elle reconnut Pauline, en entendant celle-ci ouvrir la porte d’à côté. Mais elle demeura stupéfaite : la lingère revenait doucement et frappait chez elle.

— Dépêchez-vous, c’est moi.

Il était défendu aux vendeuses de se recevoir dans leurs chambres. Aussi Denise tourna-t-elle la clef vive-