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LES ROUGON-MACQUART.

par une vieille dame, qui, après l’avoir gardé un quart d’heure, venait d’acheter un mètre de satin noir pour un corset. Dans les moments de presse, on ne tenait plus compte du tableau de ligne, les vendeurs servaient au hasard des clientes. Et il répondait à madame Boutarel, en train d’achever son après-midi au Bonheur des Dames, où elle était déjà restée trois heures le matin, lorsque l’avertissement de Favier lui causa un sursaut. Est-ce qu’il allait manquer la bonne amie du patron, dont il avait juré de tirer cent sous ? Ce serait le comble de la malchance, car il ne s’était pas encore fait trois francs, avec tous ces autres chignons qui traînaient !

Bouthemont, justement, répétait très haut :

— Voyons, messieurs, quelqu’un par ici !

Alors, Hutin passa madame Boutarel à Robineau inoccupé.

— Tenez ! madame, adressez-vous au second… il vous répondra mieux que moi.

Et il se précipita, il se fit remettre les articles de madame Marty par le vendeur aux lainages, qui avait accompagné ces dames. Ce jour-là, une excitation nerveuse devait troubler la délicatesse de son flair. D’habitude, au premier coup d’œil jeté sur une femme, il disait si elle achèterait, et la quantité. Puis, il dominait la cliente, il se hâtait de l’expédier pour passer à une autre, en lui imposant son choix, en lui persuadant qu’il savait mieux qu’elle l’étoffe dont elle avait besoin.

— Madame, quel genre de soie ? demanda-t-il de son air le plus galant.

Madame Desforges ouvrait à peine la bouche, qu’il reprenait :

— Je sais, j’ai votre affaire.

Quand la pièce de Paris-Bonheur fut dépliée, sur un coin étroit du comptoir, entre des amoncellements d’autres soies, madame Marty et sa fille s’approchèrent. Hutin, un