Page:Emile Zola - Au bonheur des dames.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
121
AU BONHEUR DES DAMES.

mystérieuses, à des rendez-vous donnés par des comtesses, entre deux achats.

— Vous devriez la faire, dit Favier de son air de pince-sans-rire.

— C’est une idée ! s’écria Hutin. Si elle vient ici, je l’entortille, il me faut cent sous !

À la ganterie, toute une rangée de dames étaient assises devant l’étroit comptoir, tendu de velours vert, à coins de métal nickelé ; et les commis souriants amoncelaient devant elles les boîtes plates, d’un rose vif, qu’ils sortaient du comptoir même, pareilles aux tiroirs étiquetés d’un cartonnier. Mignot surtout penchait sa jolie figure poupine, donnait de tendres inflexions à sa voix grasseyante de Parisien. Déjà il avait vendu à madame Desforges douze paires de gants de chevreau, des gants Bonheur, la spécialité de la maison. Elle avait ensuite demandé trois paires de gants de Suède. Et, maintenant, elle essayait des gants de Saxe, par crainte que la pointure ne fût pas exacte.

— Oh ! à la perfection, madame ! répétait Mignot. Le six trois quarts serait trop grand pour une main comme la vôtre.

À demi couché sur le comptoir, il lui tenait la main, prenait les doigts un à un, faisant glisser le gant d’une caresse longue, reprise et appuyée ; et il la regardait comme s’il eût attendu, sur son visage, la défaillance d’une joie voluptueuse. Mais elle, le coude au bord du velours, le poignet levé, lui livrait ses doigts de l’air tranquille dont elle donnait son pied à sa femme de chambre, pour que celle-ci boutonnât ses bottines. Il n’était pas un homme, elle l’employait aux usages intimes avec son dédain familier des gens à son service, sans le regarder même.

— Je ne vous fais pas de mal, madame ?

Elle répondit non, d’un signe de tête. L’odeur des gants