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LES ROUGON-MACQUART.

de femmes distinguées, est-ce qu’on peut dire aujourd’hui !

Favier regardait son cahier de notes de débit.

— N’importe ! reprit-il, je lui en ai collé pour deux cent quatre-vingt-treize francs. Ça me fait près de trois francs.

Hutin pinça les lèvres, et il soulagea sa rancune sur les cahiers de notes de débit : encore une drôle d’invention qui leur encombrait les poches ! Il y avait entre eux une lutte sourde. Favier, d’habitude, affectait de s’effacer, de reconnaître la supériorité de Hutin, quitte à le manger par derrière. Aussi ce dernier souffrait-il des trois francs emportés d’une façon si aisée, par un vendeur qu’il ne reconnaissait pas de sa force. Une belle journée, vraiment ! Si ça continuait, il ne gagnerait pas de quoi payer de l’eau de seltz à ses invités. Et, dans la bataille qui s’échauffait, il se promenait devant les comptoirs, les dents longues, voulant sa part, jalousant jusqu’à son chef, en train de reconduire la jeune femme maigre, à laquelle il répétait :

— Eh bien ! c’est entendu. Dites-lui que je ferai mon possible pour obtenir cette faveur de monsieur Mouret.

Depuis longtemps, Mouret n’était plus à l’entresol, debout près de la rampe du hall. Brusquement, il reparut en haut du grand escalier qui descendait au rez-de-chaussée ; et, de là, il domina encore la maison entière. Son visage se colorait, la foi renaissait et le grandissait, devant le flot de monde qui, peu à peu, emplissait le magasin. C’était enfin la poussée attendue, l’écrasement de l’après-midi, dont il avait un instant désespéré, dans sa fièvre ; tous les commis se trouvaient à leur poste, un dernier coup de cloche venait de sonner la fin de la troisième table ; la désastreuse matinée, due sans doute à une averse tombée vers neuf heures, pouvait encore être