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LES ROUGON-MACQUART.

avaient fait la veille et ce qu’ils comptaient faire dans huit jours. Favier pariait aux courses, Hutin canotait et entretenait des chanteuses de café-concert. Mais un même besoin d’argent les fouettait, ils ne songeaient qu’à l’argent, ils se battaient pour l’argent du lundi au samedi, puis ils mangeaient tout le dimanche. Au magasin, c’était là leur préoccupation tyrannique, une lutte sans trêve ni pitié. Et ce malin de Bouthemont qui venait de prendre pour lui l’envoyée de madame Sauveur, cette femme maigre avec laquelle il causait ! une belle affaire, deux ou trois douzaines de pièces, car la grande couturière avait les bouchées grosses. À l’instant, Robineau s’était bien avisé, lui aussi, de souffler une cliente à Favier !

— Oh ! celui-là, il faut lui régler son compte, reprit Hutin qui profitait des plus minces faits pour ameuter le comptoir contre l’homme dont il voulait la place. Est-ce que les premiers et les seconds devraient vendre !… Parole d’honneur ! mon cher, si jamais je deviens second, vous verrez comme j’agirai gentiment avec vous autres.

Et toute sa petite personne normande, aimable et grasse, jouait la bonhomie, énergiquement. Favier ne put s’empêcher de lui jeter un regard oblique ; mais il garda son flegme d’homme bilieux, il se contenta de répondre :

— Oui, je sais… Moi, je ne demande pas mieux.

Puis, voyant une dame s’approcher, il ajouta plus bas :

— Attention ! voilà pour vous.

C’était une dame couperosée, avec un chapeau jaune et une robe rouge. Tout de suite Hutin devina la femme qui n’achèterait pas. Il se baissa vivement derrière le comptoir, en feignant de rattacher les cordons d’un de ses souliers ; et, caché, il murmurait :

— Ah ! non, par exemple ! qu’un autre se la paie… Merci ! pour perdre mon tour !