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AU BONHEUR DES DAMES.

paquets restaient nues, avec leurs boîtes à ficelle et leurs mains de papier bleu, Mouret, indigné d’avoir peur, croyait sentir sa grande machine s’immobiliser et se refroidir sous lui.

— Dites donc, Favier, murmura Hutin, regardez le patron, là-haut… Il n’a pas l’air à la noce.

— En voilà une sale baraque ! répondit Favier. Quand on pense que je n’ai pas encore vendu !

Tous deux, guettant les clientes, se soufflaient ainsi de courtes phrases, sans se regarder. Les autres vendeurs du rayon étaient en train d’empiler des pièces de Paris-Bonheur, sous les ordres de Robineau ; tandis que Bouthemont, en grande conférence avec une jeune femme maigre, paraissait prendre à demi-voix une commande importante. Autour d’eux, sur des étagères d’une élégance frêle, les soies, pliées dans de longues chemises de papier crème, s’entassaient comme des brochures de format inusité. Et, encombrant les comptoirs, des soies de fantaisie, des moires, des satins, des velours, semblaient des plates-bandes de fleurs fauchées, toute une moisson de tissus délicats et précieux. C’était le rayon élégant, un salon véritable, où les marchandises, si légères, n’étaient plus qu’un ameublement de luxe.

— Il me faut cent francs pour dimanche, reprit Hutin. Si je ne me fais pas mes douze francs par jour en moyenne, je suis flambé… J’avais compté sur leur mise en vente.

— Bigre ! cent francs, c’est raide, dit Favier. Moi, je n’en demande que cinquante ou soixante… Vous vous payez donc des femmes chic ?

— Mais non, mon cher. Imaginez-vous, une bêtise : j’ai parié et j’ai perdu… Alors, je dois régaler cinq personnes, deux hommes et trois femmes… Sacré mâtin ! la première qui passe, je la tombe de vingt mètres de Paris-Bonheur !

Un moment encore, ils causèrent, ils se dirent ce qu’ils