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LES ROUGON-MACQUART.

bourgeoisie moyenne, il lui lança un terrible regard, l’éclair de haine d’un timide qui n’ose étrangler les gens.

D’ailleurs, ces dames n’avaient pas lâché les dentelles. Elles s’en grisaient. Les pièces se déroulaient, allaient et revenaient de l’une à l’autre, les rapprochant encore, les liant de fils légers. C’était, sur leurs genoux, la caresse d’un tissu miraculeux de finesse, où leurs mains coupables s’attardaient. Et elles emprisonnaient Mouret plus étroitement, elles l’accablaient de nouvelles questions. Comme le jour continuait de baisser, il devait par moments pencher la tête, effleurer de sa barbe leurs chevelures, pour examiner un point, indiquer un dessin. Mais, dans cette volupté molle du crépuscule, au milieu de l’odeur échauffée de leurs épaules, il demeurait quand même leur maître, sous le ravissement qu’il affectait. Il était femme, elles se sentaient pénétrées et possédées par ce sens délicat qu’il avait de leur être secret, et elles s’abandonnaient, séduites ; tandis que lui, certain dès lors de les avoir à sa merci, apparaissait, trônant brutalement au-dessus d’elles, comme le roi despotique du chiffon.

— Oh ! monsieur Mouret ! monsieur Mouret ! balbutiaient des voix chuchotantes et pâmées, au fond des ténèbres du salon.

Les blancheurs mourantes du ciel s’éteignaient dans les cuivres des meubles. Seules, les dentelles gardaient un reflet de neige sur les genoux sombres de ces dames, dont le groupe confus semblait mettre autour du jeune homme de vagues agenouillements de dévotes. Une dernière clarté luisait au flanc de la théière, une lueur courte et vive de veilleuse, qui aurait brûlé dans une alcôve attiédie par le parfum du thé. Mais, tout d’un coup, le domestique entra avec deux lampes, et le charme fut rompu. Le salon s’éveilla, clair et gai. Madame Marty replaçait les dentelles au fond de son petit sac ; madame