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LES ROUGON-MACQUART.

de la jeune fille et le grand derrière, ils faisaient leur entrée avec une grâce souriante et inquiète. La clarté matinale découpait la noire silhouette de leurs vêtements de deuil, un jour oblique dorait leurs cheveux blonds.

— Entrez, entrez, répétait Baudu.

En quelques phrases brèves, il mettait au courant madame Baudu et sa fille. La première était une petite femme mangée d’anémie, toute blanche, les cheveux blancs, les yeux blancs, les lèvres blanches. Geneviève, chez qui s’aggravait encore la dégénérescence de sa mère, avait la débilité et la décoloration d’une plante grandie à l’ombre. Pourtant, des cheveux noirs magnifiques, épais et lourds, poussés comme par miracle dans cette chair pauvre, lui donnaient un charme triste.

— Entrez, dirent à leur tour les deux femmes. Vous êtes les bienvenus.

Et elles firent asseoir Denise derrière un comptoir. Aussitôt, Pépé monta sur les genoux de sa sœur, tandis que Jean, adossé contre une boiserie, se tenait près d’elle. Ils se rassuraient, regardaient la boutique, où leurs yeux s’habituaient à l’obscurité. Maintenant, ils la voyaient, avec son plafond bas et enfumé, ses comptoirs de chêne polis par l’usage, ses casiers séculaires aux fortes ferrures. Des ballots de marchandises sombres montaient jusqu’aux solives. L’odeur des draps et des teintures, une odeur âpre de chimie, semblait décuplée par l’humidité du plancher. Au fond, deux commis et une demoiselle rangeaient des pièces de flanelle blanche.

— Peut-être ce petit monsieur-là prendrait-il volontiers quelque chose ? dit madame Baudu en souriant à Pépé.

— Non, merci, répondit Denise. Nous avons bu une tasse de lait dans un café, devant la gare.

Et, comme Geneviève regardait le léger paquet qu’elle avait posé par terre, elle ajouta :