Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forme parfaite et d’une extrême vigueur ? Nos vêtements nous cachent si bien que l’homme le plus grêle et le plus mal tourné a souvent une réputation d’élégance et de distinction qu’il ne changerait certes pas pour une réputation de force et de beauté solide. D’autre part, les sergents de ville sont là, et on ne se bat plus à coups de poing que dans les cabarets des barrières ; les messieurs tirent l’épée, jouent du pistolet ; enfin, dans les batailles, nos soldats ne sont que des machines à porter des fusils et à mettre le feu aux canons. Nous n’avons que faire vraiment de gymnases. Nous vivons dans les laboratoires et dans les cabinets de travail ; nos distractions, nos exercices purement intellectuels, sont de lire les journaux et les nouveaux ouvrages. Puis, nous sentons tous que nous n’avons pas longtemps à travailler ; la science est là qui fournit des machines, le labeur humain tend à disparaître, l’homme n’aura bientôt plus qu’à se reposer et à jouir de la création. De là, la grande indifférence ; rien ne nous sollicite aux exercices corporels, ni le climat ni les mœurs. Nous pouvons nous passer parfaitement d’être forts et d’être beaux. Aussi nous laissons notre corps s’alanguir, puisqu’on a rendu notre corps inutile, et nous cultivons notre esprit, nous en forçons les ressorts jusqu’au grincement, parce que notre esprit nous est nécessaire pour la solution des problèmes qui nous sont posés.

Avec un pareil régime, nous allons tout droit à la mort. Le corps se dissout, l’esprit s’exalte : il y a détraquement de toute la machine. Les œuvres produi-