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mordu à la pomme, et elle veut tout savoir. Ce qui nous tue, ce qui nous maigrit, c’est que nous devenons savants, c’est que les problèmes sociaux et divins vont recevoir leur solution un de ces jours. Nous allons voir Dieu, nous allons voir la vérité, et vous pensez alors quelle impatience nous tient, quelle hâte fébrile nous mettons à vivre et à mourir. Nous voudrions devancer les temps, nous faisons bon marché de nos sueurs, nous brisons le corps par la tension de l’esprit. Tout notre siècle est là. Au sortir de la paix monarchique et dogmatique, lorsque le monde et l’humanité ont été remis en question, il est arrivé que l’on a repris le problème sur de nouvelles bases, plus justes et plus vraies. L’équation posée et quelques inconnues ayant été trouvées, il y a eu ivresse, joie folle. On a compris qu’on était sans doute sur le chemin de la vérité, et on s’est précipité en masse, démolissant, poussant et criant, faisant de nouvelles découvertes à chaque pas, de plus en plus fouetté par le désir d’aller en avant, d’aller à l’infini et à l’absolu. Sij’osais hasarder une comparaison, je dirais que nos sociétés sont comme une meute lancée contre une bête fauve. Nous sentons la vérité qui court devant nous, et nous courons.

Sans vouloir établir ici une relation intime entre le milieu et l’œuvre qui y est produite, il est aisé de comprendre que les œuvres de cette meute d’hommes lâchés dans le champ de la science, vont avoir toutes les ardeurs, tous les effarements de la chasse âpre et terrible. Notre littérature contemporaine, avec ses