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est plus acceptable, parce qu’il est secondaire et qu’il ne prêche pas. Mais il est parfaitement ridicule. Pour se faire aimer de Calixte, il n’imagine rien de mieux que de se casser la tête sous sa fenêtre, en brisant contre le perron du Quesnay une légère voiture qu’il conduit tout exprès. Violent et passionné, beau comme une femme et fort comme un homme, d’une élégance morbide et d’une fierté chevaleresque, cet adolescent réalise sans doute le type idéal de l’amant et du gentilhomme pour M. Barbey d’Aurevilly. Pour moi, il ressemble à un page d’une gravure de modes. L’auteur aime à habiller ses personnages des costumes d’autrefois ; il a parfaitement réussi à nous donner, dans Néel de Néhou, un de ces chevaliers imaginaires, tout colère et tout tendresse, jeunes filles à fines moustaches blondes, ayant la taille mince et le bras invincible. Je vous assure que les amoureux de notre âge sont autrement bâtis et qu’ils aiment d’une toute autre façon.

J’ai dit que la grande Malgaigne représentait la fatalité dans l’ouvrage. Elle est fort bien drapée, cette Malgaigne, et le seul tort qu’elle ait est de prédire avec trop de succès et de certitude. Je me rappelle une sorcière de Walter Scott qui a pu servir de modèle à l’auteur, mais celle-ci est franchement au service du diable, tandis que celle de M. Barbey d’Aurevilly communie et prophétise tout à la fois. J’aime assez rencontrer dans la lande cette vieille femme qui raconte des histoires à dormir debout ; elle est à son plan dans le paysage ; ses longues jupes aux plis droits et