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Normandie, et vous atteignez l’effet contraire à celui que vous espériez, en triomphant dans le rêve et dans le miracle.

M. Barbey d’Aurevilly, c’est une justice à lui rendre, a travaillé amoureusement la grande figure de Sombreval ; il en a fait un Titan, une sorte de colosse tranquille dans son doute, dédaigneux du monde, gardant ses tendresses pour sa fille et la science. Ce personnage est un excellent portrait de l’incrédule moderne dont l’impiété est faite d’indifférence ; il croit en lui, il croit en ses volontés et en son savoir.

Pour l’auteur, c’est un damné qui a tué Dieu, meurtre que j’avoue ne pas trop comprendre ; c’est un assassin et un sacrilège, un fils révolté, qu’un père despote châtiera cruellement. Pour moi, tel que M. Barbey d’Aurevilly le peint, c’est un homme sanguin, d’un esprit positif, qui s’est fatigué un jour des mystères et des exigences d’une religion jalouse, et qui est tranquillement rentré dans la vie ordinaire, plus compréhensible et convenant mieux à sa nature. Il ne croit à rien, parce que rien de ce qu’on lui présente ne lui semble croyable ; il vit dans un temps de transition, se reposant dans ses affections et dans son intelligence, attendant la nouvelle philosophie religieuse qui, selon lui, remplacera certainement celle qu’il a cru devoir quitter par dégoût, par besoin d’amour humain et de saine raison ; il aide lui-même la venue de la vérité, penché sur ses creusets de chimiste, et travaillant à une œuvre de santé et de tendresse. Certes, M. Barbey d’Aurevilly n’a pas entendu