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tout que le goût, et l’artiste modéré peut se consoler en le jetant après la troisième page. Mais dès qu’il se mêle de prêcher, dès qu’il veut devenir un enseignement et un catéchisme, il attaque le vrai, et on est en droit de lui demander un peu de raison et de mesure, sous peine de n’être pas écouté par les gens sérieux. Avez-vous jamais vu un échappé de Charenton rendant des arrêts sur la place publique ?

Oui, si l’on veut, M. Barbey d’Aurevilly avait le droit d’écrire la partie romanesque de l’œuvre, telle qu’il l’a écrite. Mais j’affirme qu’il n’avait pas le droit d’écrire la partie que j’ai appelée dogmatique, à moins de changer totalement de procédé. Lorsqu’on a à discuter, à l’aide du roman, des problèmes philosophiques et religieux, le premier soin de l’écrivain devrait être de se placer dans un milieu réel ; il ne lui est pas permis de sortir de son temps pour résoudre une question contemporaine, de sortir de l’humanité pour résoudre une question humaine. J’ai dit qu’Un prêtre marié était un plaidoyer maladroit en faveur du célibat des prêtres, justement à cause du peu de vérité de l’œuvre. Un homme raisonnable ne saurait s’arrêter à cette création bizarre qui s’agite dans un monde qui n’existe pas. Si vous êtes catholique et que vous vouliez défendre vos croyances, prenez le monde moderne corps à corps, luttez avec lui sur son propre terrain, en plein Paris ; mais n’allez pas opposer un savant à plusieurs centaines de Normands ignorants ; en un mot, heurtez le présent contre le présent. Vous vous assurez une victoire trop facile au fond de votre