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une attitude ; l’art grec, cette idéalisation de la forme, ce cliché pur et correct, cette beauté divine et impersonnelle ; l’art chrétien, ces figures pâles et émaciées qui peuplent nos cathédrales et qui paraissent sortir toutes d’un même chantier : telles sont les périodes artistiques qui trouvent grâce devant lui, parce que les œuvres y semblent être le produit de la foule.

Quant à la Renaissance et à notre époque, il n’y voit qu’anarchie et décadence. Je vous demande un peu, des gens qui se permettent d’avoir du génie sans consulter l’humanité : des Michel-Ange, des Titien, des Véronèse, des Delacroix, qui ont l’audace de penser pour eux et non pour leurs contemporains, de dire ce qu’ils ont dans leurs entrailles et non ce qu’ont dans les leurs les imbéciles de leur temps ! Que Proudhon traîne dans la boue Léopold Robert et Horace Vernet, cela m’est presque indifférent. Mais qu’il se mette à admirer le Marat et le Serment du Jeu de paume, de David, pour des raisons de philosophe et de démocrate, ou qu’il crève les toiles d’Eugène Delacroix au nom de la morale et de la raison, cela ne peut se tolérer. Pour tout au monde, je ne voudrais pas être loué par Proudhon ; il se loue lui-même en louant un artiste, il se complaît dans l’idée et dans le sujet que le premier manœuvre pourrait trouver et disposer.

Je suis encore trop endolori de la course que j’ai faite avec lui dans les siècles. Je n’aime ni les Egyptiens, ni les Grecs, ni les artistes ascétiques, moi qui n’admets dans l’art que la vie et la personnalité. J’aime au contraire la libre manifestation des pensées