Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/376

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de l’œuvre ; les chroniqueurs rient plus haut que les rieurs désintéressés. Au fond, ce n’est que du rire, ce n’est que du vent. Pas la moindre conviction, pas le plus petit souci de vérité. L’art est grave, il ennuie profondément ; il faut bien l’égayer un peu, chercher une toile dans le Salon qu’on puisse tourner en ridicule. Et l’on s’adresse toujours à l’œuvre étrange qui est le fruit mûr d’une personnalité nouvelle.

Remontons à cette œuvre, causes des rires et des moqueries, et nous voyons que l’aspect plus ou moins particulier du tableau a seul amené cette gaieté folle. Telle attitude a été grosse de comique, telle couleur a fait pleurer de rire, telle ligne a rendu malade plus de cent personnes. Le public a seulement vu un sujet, et un sujet traité d’une certaine manière. Il regarde des œuvres d’art, comme les enfants regardent des images : pour s’amuser, pour s’égayer un peu. Les ignorants se moquent en toute confiance ; les savants, ceux qui ont étudié l’art dans les écoles mortes, se fâchent de ne pas retrouver, en examinant l’œuvre nouvelle, les habitudes de leur foi et de leurs yeux. Personne ne songe à se mettre au véritable point de vue. Les uns ne comprennent rien, les autres comparent. Tous sont dévoyés, et alors la gaieté ou la colère monte à la gorge de chacun.

Je le répète, l’aspect seul est la cause de tout ceci. Le public n’a pas même cherché à pénétrer l’œuvre ; il s’en est tenu, pour ainsi dire, à la surface. Ce qui le choque et l’irrite, ce n’est pas la constitution intime de l’œuvre, ce sont les apparences générales et exté-