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L’Enfant à l’épée est un petit garçon debout, l’air naïf et étonné, qui tient à deux mains une énorme épée garnie de son baudrier. Ces peintures sont fermes et solides, très délicates d’ailleurs, ne blessant en rien la vue faible de la foule. On dit qu’Édouard Manet a quelque parenté avec les maîtres espagnols, et il ne l’a jamais avoué autant que dans l’Enfant à l’épée. La tête de ce petit garçon est une merveille de modelé et de vigueur adoucie. Si l’artiste avait toujours peint de pareilles têtes, il aurait été choyé du public, accablé d’éloges et d’argent ; il est vrai qu’il serait resté un reflet, et que nous n’aurions jamais connu cette belle simplicité qui constitue tout son talent. Pour moi, je l’avoue, mes sympathies sont ailleurs parmi les œuvres du peintre ; je préfère les raideurs franches, les taches justes et puissantes d’Olympia aux délicatesses cherchées et étroites de l’Enfant à l’épée.

Mais, dès maintenant, je n’ai plus à parler que des tableaux qui me paraissent être la chair et le sang d’Édouard Manet. Et d’abord il y a, en 1863, les toiles dont l’apparition chez Martinet, au boulevard des Italiens, causa une véritable émeute. Des sifflets et des huées, comme il est d’usage, annoncèrent qu’un nouvel artiste original venait de se révéler. Le nombre des toiles exposées était de quatorze ; nous en retrouverons huit à l’Exposition universelle : le Vieux Musicien, le Liseur, les Gitanos, un Gamin, Lola de Valence, la Chanteuse des rues, le Ballet espagnol, la Musique aux Tuileries.