Page:Emile Zola, Mes haines - Mon salon - Edouard Manet, Ed. Charpentier, 1893.djvu/349

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette œuvre a plus ou moins de mérite. Les circonstances ont voulu qu’on choisît pour étalon le beau grec, de sorte que les jugements portés sur toutes les œuvres d’art créées par l’humanité, résultent du plus ou du moins de ressemblance de ces œuvres avec les œuvres grecques.

Ainsi, voilà la large production du génie humain, toujours en enfantement, réduite à la simple éclosion du génie grec. Les artistes de ce pays ont trouvé le beau absolu, et, dès lors, tout a été dit ; la commune mesure étant fixée, il ne s’agissait plus que d’imiter et de reproduire les modèles le plus exactement possible. Et il y a des gens qui vous prouvent que les artistes de la Renaissance ne furent grands que parce qu’ils furent imitateurs. Pendant plus de deux mille ans, le monde se transforme, les civilisations s’élèvent et s’écroulent, les sociétés se précipitent ou languissent, au milieu de mœurs toujours changeantes ; et, d’autre part, les artistes naissent ici et là, dans les matinées pâles et froides de la Hollande, dans les soirées chaudes et voluptueuses de l’Italie et de l’Espagne. Qu’importe ! le beau absolu est là, immuable, dominant les âges ; on brise misérablement contre lui toute cette vie, toutes ces passions et toutes ces imaginations qui ont joui et souffert pendant plus de deux mille ans.

Voici, maintenant, quelles sont mes croyances en matière artistique. J’embrasse d’un regard l’humanité qui a vécu et qui, devant la nature, à toute heure, sous tous les climats, dans toutes les circonstances, s’est senti l’impérieux besoin de créer humainement,