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traits, et qu’on prêtera une attention polie aux jugements très désintéressés que je vais porter sur un artiste convaincu et sincère. Je suis persuadé que le profil exact de Édouard Manet réel surprendra bien des personnes ; on l’étudiera désormais avec des rires moins indécents et une attention plus convenable. La question devient celle-ci : ce peintre, assurément, peint d’une façon toute naïve, toute recueillie, et il s’agit seulement de savoir s’il fait œuvre de talent ou s’il se trompe grossièrement.

Je ne voudrais pas poser en principe que l’insuccès d’un élève, obéissant à la direction d’un maître, est la marque d’un talent original, et tirer de là un argument en faveur d’Édouard Manet perdant son temps chez Thomas Couture. Il y a forcément, pour chaque artiste, une période de tâtonnements et d’hésitations qui dure plus ou moins longtemps ; il est admis que chacun doit passer cette période dans l’atelier d’un professeur, et je ne vois pas de mal à cela ; les conseils, s’ils retardent parfois l’éclosion des talents originaux, ne les empêchent pas de se manifester un jour, et on les oublie parfaitement tôt ou tard, pour peu qu’on ait une individualité de quelque puissance.

Mais, dans le cas présent, il me plaît de considérer l’apprentissage long et pénible d’Édouard Manet comme un symptôme d’originalité. La liste serait longue, si je nommais ici tous ceux que leurs maîtres ont découragés et qui sont devenus ensuite des hommes de premier mérite. « Vous ne ferez jamais rien, » dit le magister, et cela signifie sans