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vérité adoucie, de la nature propre et lavée avec soin, des horizons fuyants et rêveurs. Mais que le maître peigne avec vigueur la terre forte, le ciel profond, les arbres et les flots puissants, et le public trouve cela bien laid, bien grossier. Cette année, M. Daubigny a contenté la foule sans trop se mentir à lui-même. Je crois savoir d’ailleurs que ce sont là d’anciennes toiles.

M. Pissaro est un inconnu, dont personne ne parlera sans doute. Je me fais un devoir de lui serrer vigoureusement la main, avant de partir. Merci, monsieur, votre paysage m’a reposé une bonne demi-heure, lors de mon voyage dans le grand désert du Salon. Je sais que vous avez été admis à grand’peine, et je vous en fais mon sincère compliment. D’ailleurs, vous devez savoir que vous ne plaisez à personne, et qu’on trouve votre tableau trop nu, trop noir. Aussi pourquoi diable avez-vous l’insigne maladresse de peindre solidement et d’étudier franchement la nature !

Voyez donc : vous choisissez un temps d’hiver ; vous avez là un simple bout d’avenue, puis un coteau au fond, des champs vides jusqu’à l’horizon. Pas le moindre régal pour les yeux. Une peinture austère et grave, un souci extrême de la vérité et de la justesse, une volonté âpre et forte. Vous êtes un grand maladroit, monsieur, — vous êtes un artiste que j’aime.

Donc, je n’ai plus le loisir de louer ceux-ci et de blâmer ceux-là. Je fais mes paquets à la hâte, sans