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autres, nous ont été longtemps cachées par les décisions de certaines coteries. Je ne voudrais pas que cela se renouvelât, et j’écris justement ces articles pour exiger que les artistes qui seront à coup sûr les maîtres de demain ne soient pas les persécutés d’aujourd’hui.

J’affirme carrément que le jury qui a fonctionné cette année a jugé d’après un parti pris. Tout un côté de l’art français, à notre époque, nous a été volontairement voilé. J’ai nommé MM. Manet et Brigot, car ceux-là sont déjà connus ; je pourrais en citer vingt autres appartenant au même mouvement artistique. C’est dire que le jury n’a pas voulu des toiles fortes et vivantes, des études faites en pleine vie et en pleine réalité.

Je sais bien que les rieurs ne vont pas être de mon côté. On aime beaucoup à rire en France, et je vous jure que je vais rire encore plus fort que les autres. Rira bien qui rira le dernier.

Eh oui ! je me constitue le défenseur de la réalité. J’avoue tranquillement que je vais admirer M. Manet, je déclare que je fais peu de cas de toute la poudre de riz de M. Cabanel et que je préfère les senteurs âpres et saines de la nature vraie. D’ailleurs, chacun de mes jugements viendra en son temps. Je me contente de constater ici, et personne n’osera me démentir, que le mouvement qu’on a désigné sous le nom de réalisme ne sera pas représenté au Salon.

Je sais bien qu’il y aura Courbet. Mais Courbet, paraît-il, a passé à l’ennemi. On serait allé chez lui en