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C’est ici qu’éclate le sens pratique que nous avons de la liberté et de la justice. Les artistes se plaignant de la coterie académique, il fut décidé qu’ils choisiraient leur jury eux-mêmes. Dès lors, ils n’auraient plus à se fâcher, s’ils se donnaient des juges sévères et personnels. Telle fut la décision prise.

Mais vous vous imaginez peut-être que tous les peintres et tous les sculpteurs, tous les graveurs et tous les architectes, furent appelés à voter. On voit bien que vous aimez votre pays d’un amour aveugle. Hélas ! la vérité est triste, mais je dois confesser que ceux-là seuls nomment le jury, qui justement n’ont pas besoin du jury. Vous et moi, qui avons dans notre poche une ou deux médailles, il nous est permis d’élire un tel ou un tel, dont nous nous soucions peu d’ailleurs, car il n’a pas le droit de regarder nos toiles, reçues à l’avance. Mais ce pauvre hère, jeté à la porte du Salon pendant cinq ou six années consécutives, n’a pas même la permission de choisir ses juges, et est obligé de subir ceux que nous lui imposons par indifférence ou par camaraderie.

Je désire insister sur ce point. Le jury n’est pas nommé par le suffrage universel, mais par un vote restreint auquel peuvent seulement prendre part les artistes exemptés de tout jugement à la suite de certaines récompenses. Quelles sont donc les garanties pour ceux qui n’ont pas de médailles à montrer ? Comment ! on crée un jury ayant charge d’examiner