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à la rigueur, que les Romains aient eu alors besoin d’un guide, d’un homme à la main sûre et ferme, qui les conduisît dans les circonstances difficiles où ils se trouvaient. La tâche de cet homme était grande : elle consistait à rendre à la république toute sa verdeur. Je ne puis m’expliquer autrement la mission de ce bienfaiteur. Évidemment, ce n’est pas sauver une république que de tenter la création d’un empire ; c’est faire succéder une forme à une autre forme de gouvernement.

Les circonstances demandaient-elles absolument un dictateur à vie, un empereur ? l’homme de génie qui avait compris son époque, ne devait-il pas se contenter de rétablir les institutions dans leur pureté, de n’employer son pouvoir qu’à refaire à la République une seconde jeunesse ? Combien il aurait été grand, le jour où, après avoir rendu à la nation la force de se gouverner elle-même, il lui aurait remis sa puissance entre les mains ! Le maître que demandait alors l’Italie, si toutefois elle en demandait un, était un ami, un conseiller, et non un empereur.

L’auteur paraît d’ailleurs avoir, en histoire, une croyance que je ne puis accepter. Il fait des peuples des sortes de troupeaux qui parfois marchent tranquillement dans le chemin tracé par la Providence, qui d’autres fois s’écartent et ont besoin de l’aiguillon. L’humanité, pour lui, est une foule, frappée de folie, certains jours, et à qui Dieu passe alors une camisole de force. Il crée tout exprès un maître pour dompter la bête fougueuse et la lui remettre souple et docile