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but et posent tranquillement César à côté de Jésus, le soldat cruel auprès du doux conquérant des âmes. Je ne crois pas à ces messagers du ciel qui viennent accomplir sur la terre leur mission de sang ; si Dieu parfois nous envoyait ses fils, je me plais à penser que ces créatures providentielles ressembleraient toutes au Christ, et feraient des œuvres de paix et de vérité ; elles viendraient, à l’heure dite, renouveler l’espérance, nous donner une nouvelle philosophie, imprimer au monde une direction morale plus ferme et plus droite. Les conquérants, au contraire, ne sont qu’une crise suprême dans les maladies des sociétés ; il y a amputation violente, et toujours le blessé en meurt. On ne peut venir du ciel, une épée à la main. César, Charlemagne, Napoléon, sont bien de la famille humaine ; ils n’ont rien de céleste en eux, car Dieu ne saurait se manifester vainement, et cependant, s’ils n’avaient pas été, l’humanité n’en serait ni plus heureuse ni plus malheureuse aujourd’hui. Ce sont des hommes qui ont grandi dans la volonté et dans l’idée fixe ; ils dominent leurs âges, parce qu’ils ont su servir des forces que les événements mettaient entre leurs mains. Ils valent moins par eux que par l’heure de leur naissance. Transportez leurs personnalités dans une autre époque, et vous verrez ce qu’ils auraient été. La Providence doit prendre ici le nom de Fatalité.

Je n’ai point compris l’exclamation : « Heureux les peuples qui les comprennent et les suivent ! malheur à ceux qui les méconnaissent et les combattent ! » Il y